La réforme de la justice des mineurs
Article de Ondine Millot, à lire sur le site de Libération
Il y avait du monde, ce vendredi, à la buvette du
palais de justice de Paris. Faute d’avoir obtenu une salle pour y tenir
une conférence de presse, une vingtaine de magistrats, avocats,
éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse y avait réuni des
journalistes pour les «alerter». Objet de leur inquiétude : la
réforme de la justice des mineurs que prépare la chancellerie. Le
15 avril, la garde des Sceaux a installé une commission censée y
réfléchir. Présidée par le juriste André Varinard, elle a jusqu’au 1er novembre pour rendre ses conclusions.
En attendant, la commission procède à des auditions. Et ceux qui sont auditionnés en ressortent catastrophés. «On a eu droit à des soupirs, des manifestations bruyantes d’ennui et de désapprobation», raconte Hélène Franco, secrétaire générale du Syndicat de la magistrature, reçue le 22 mai. «C’était du mépris», renchérit Michel Faujour, du syndicat d’éducateurs SNPES-PJJ, reçu le 5 juin.
«Ringard».Alors que ce dernier explique avoir insisté sur la
primauté de l’éducatif, principe fondateur de la justice des mineurs
définie par l’ordonnance de 1945, il raconte qu’on lui a fait
comprendre qu’il parlait comme un «idéologue ringard» face à la «dangerosité» des jeunes d’aujourd’hui. «La commission part du principe que les jeunes sont dangereux et qu’il faut s’en prémunir», résume Muriel Eglin, de l’Association française des magistrats de la jeunesse et de la famille.
Lors de l’installation de la commission, de fait, Rachida Dati et
André Varinard n’avaient pas caché leurs ambitions répressives, ouvrant
la séance par la projection d’un édifiant condensé vidéo de peurs
sécuritaires. «La délinquance des mineurs se durcit», martelait
le commentaire. Une mise en appétit permettant ensuite à la ministre
d’égrener son chapelet de sévérité: possibilité de peines de prison
avant 13 ans (aujourd’hui âge minimum), juger les 16-18 ans
récidivistes comme des majeurs, supprimer au juge des enfants sa
fonction éducative pour ne plus lui confier que le répressif.
Des mots d’ordre repris sans état d’âme par André Varinard, au jour même de la fondation de sa commission indépendante. «Ils
nous ont confirmé qu’ils s’acheminaient vers la création d’un tribunal
correctionnel spécial pour les multirécidivistes de 16 à 18 ans», raconte
Hélène Franco. Et qu’ils envisageaient de retirer l’ensemble des
prérogatives éducatives aux juges des enfants pour les confier aux
départements. «Ils veulent aussi généraliser les peines automatiques. Rendre la prison inévitable pour certaines infractions, ajoute Muriel Eglin. Alors que la seule façon de lutter contre la récidive, c’est au contraire d’adapter la réponse à la personnalité des mineurs.»
Sordide. Une fois de plus, regrette Hélène Franco, l’évocation de faits divers sordides remplace toute réflexion. «Qu’est-ce que vous faites pour les deux enfants de 10 et 12 ans qui ont violé leur sœur avec un objet après voir vu un film porno ?», lui a demandé la commission Varinard, alors qu’elle tentait d’expliquer l’efficacité des réponses éducatives.