«Nous allons vers un monde de zombies», interview de Juan Pundik
Article paru sur le site de la revue La Capital, de Buenos Aires, le 12 mai 2008
SOURCE : e-torpedo.net
[Merci à Olgren qui, par son commentaire sur un billet du Yéti, a attiré l'attention sur cet article.]
« Lacan disait que la psychanalyse dispose d’une éthique, mais pas la science. Ainsi,
s’il faut détruire une ville pour essayer une bombe, la science le
fait. La recherche scientifique a donc l’habitude d’être soutenue
financièrement par le pouvoir économique qui, dans le cas qui nous
occupe, est intéressé par le marché des consommateurs de médicaments.
Mais nous sommes un certain nombre à ne pas nous laisser corrompre. »
La
définition du psychanalyste Juan Pundik est un exemple de la position
politique qui soutient son travail depuis plus de trois décennies
contre la maltraitance faite aux enfants. C’est cette tâche qui a,
durant les dernières années, orienté ses actions contre la
médicalisation de l’enfance, un phénomène qui, depuis la dernière
décennie, croît partout dans le monde au baromètre des questions de
marché qui omettent les conséquences graves de cette médicalisation.
Pundik,
résident argentin en Espagne depuis son exil en 1976, s’est rendu dans
sa Buenos Aires natale, pour présenter son travail au congrès de
l’Association Mondiale de Psychanalyse. Cette visite l'a amené à
présenter son travail à Rosario, au Siège de Gouvernement de l'UNR. «
La médicalisation, ce n’est pas le fait de prescrire un médicament,
mais c’est celui d’abuser du médicament de manière généralisée, à
partir des intérêts et des pressions de l'industrie pharmaceutique,
auxquels peu peuvent échapper », a soutenu ce professionnel de terrain,
lors d’une entrevue avec la revue « La Capital ».
Les
avancées dans le domaine vont plus loin à son avis. Depuis 2006, date
après laquelle l'Agence Européenne du Médicament (Emea) autoriserait
l'administration de Prozac à des mineurs de moins de 18 ans, Pundik
dirige la Plate-forme Internationale contre la Médicalisation de l'Enfance
pour dénoncer « cette aberration qui a tenu compte des rapports
effectués par les fabricants de la substance avant les études qui
alertaient sur les risques de celle-ci».
Pour
Pundik, le fait que l’on permette aux laboratoires d’être « juge et
partie » donne une idée du poids de l'industrie pharmaceutique et de
ses intérêts économiques. C’est ce qui l'a motivé à dénoncer cette
situation cinq fois devant le président de la Commission Européenne ,mais désespérant d’obtenir une réponse qui n'est jamais arrivée, il a
décidé de porter sa plaidoirie devant le Parlement européen, qui l’a
entendu et qui effectue maintenant « des démarches » tandis que la
plate-forme continue à rassembler des signatures et des adhésions. La
tendance à médiquer les enfants préoccupe déjà tant les médecins que
les pédagogues qui ne voient pas, dans l'administration de drogues, la
solution aux troubles de l’attention des élèves dans la salle de
classe, étiquetés généralement - comme si cela pouvait s’expliciter
simplement - comme trouble dû à un déficit d'attention avec ou sans
hyperactivité (TDAH).
«
C'est un problème globalisé, il fonctionne de la même manière dans
beaucoup de pays. Certains enseignants font appel aux pères et disent :
« Ou ils médiquent cet enfant, ou ils le retirent de l’école », a
résumé Pundik faisant allusion à une pratique apparemment de plus en
plus fréquente dans les salles de classe : soit, l'étiquetage des
enfants en fonction de ses supposés troubles comme les « attaques de
panique », ADD, ODD, TGD, sans s'arrêter sur leurs causes.
Les
détracteurs de cette façon de faire disent que le médicament, au lieu
de traiter les causes de l'inattention des enfants, cache le symptôme.
Si l'enfant turbulent est un distrait ou un génie ou traverse des
problèmes familiaux, cela reste hors de discussion avec prescription
d’un produit, qui peut être un dérivé d’amphétamine ou un
antidépresseur. Mais sont aussi omis généralement les effets
secondaires des drogues sur les enfants, effets qui peuvent apparaître
quand il sera déjà trop tard.
« J'ai fait l'essai de consommer du méthylphénidate
pendant 30 jours et j’ai pu constater les effets de ce beaucoup
appellent la « cocaïne pédiatrique ». Cette substance est fournie à des
enfants de tout âge, tant en Europe qu’aux Etats-Unis », a averti Pundik.
-Comment la psychanalyse traite-t-elle les enfants hyperactifs ?
-
Pour la psychanalyse, il n'existe pas d’enfant hyperactif. Est
catalogué comme hyperactif un enfant qui n'est pas facile et n'a pas un
bon rendement scolaire. Quand on pense à Borges qui disait que son
éducation s’était terminée quand il est entré à l'école !
- Mais l'enfance de maintenant n'est pas celle d'avant.
-
Les enfants sont de plus en plus intelligents et soucieux, curieux,
mais évidemment donnent davantage de travail que les enfants abrutis
par les médications. C’est aussi du à l’action des laboratoires qui
organisent des campagnes publicitaires contre la dépression infantile,
campagnes au moyen desquelles, au lieu de se demander pourquoi un
enfant est triste, ils le droguent.
- Mais quels effets ont ces médicaments pour qu’ils soient prescrits en classe ?
- Les amphétamines, que nous prenions pour être mieux concentrés quand nous étions étudiants, font
que l’inattentif prête davantage d'attention par l’action du produit
sur les transmetteurs neuronaux. Les enfants sont plus tranquilles,
moins rebelles, mais pendant ce temps, souffrent d’une destruction
neuronale, de changements de conduite, de modifications hormonales,
d’une série d'effets illimités qui peuvent aller jusqu'au décès.
Dominer,
tel est le maître-mot. En effet Pundik ne voit pas seulement dans ce
phénomène un simple négoce : « Il y a une volonté de soumettre, où il
s’avère que le pouvoir est détenu par ceux qui, depuis toujours,
condamnent les autres à la pauvreté ».
- Est une volonté politique ou économique ?
-
Nous allons vers un monde de zombies drogués. Ils veulent des enfants
obéissants et soumis, pour qu'ensuite, une fois devenus grands, ils
soient capables d'obéir aux ordres et, ainsi peut-être, d’avaliser
tranquillement une dictature. Apparemment, les plus rebelles sont très
préoccupants.